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Match OM-Qarabag: pour les Arméniens de Marseille, «c’est de la provocation»

L’Olympique de Marseille accueille ce jeudi le club azéri en Ligue Europa Conférence, un an et demi après la défaite de l’Arménie face à l’Azerbaïdjan dans une guerre pour le contrôle de la région du Haut-Karabakh. «Un affront» pour la diaspora arménienne, présente en nombre dans la ville.
par Arno Tarrini
publié le 17 février 2022 à 16h08

A Marseille, cette rencontre pourrait être synonyme d’une nouvelle soirée européenne sans éclat, loin des paillettes de la Ligue des champions. Un jeudi soir où se mêlent la nostalgie des exploits passés et la lassitude d’une sous-compétition sans grand enjeu. Mais pour la diaspora arménienne, estimée à près de 80 000 personnes dans la ville, elle réveille les traumatismes d’un conflit meurtrier avec l’Azerbaïdjan. «Ce match n’aurait jamais dû avoir lieu», dénonce l’un des membres du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France de Marseille. «Les membres de la communauté arménienne vivent ça comme un affront ultime, une provocation.»

En octobre 2020, après des années de conflit gelé, une nouvelle guerre a éclaté entre les Arméniens et les Azéris, soutenus par la Turquie. A l’issue de ces affrontements, qui ont fait plus de 6 500 morts dont 3 700 Arméniens en seulement six semaines, un cessez-le-feu a été instauré. Le Haut-Karabakh arménien a été contraint de céder à l’Azerbaïdjan plusieurs pans de son territoire. Peuplé majoritairement d’Arméniens, chrétiens pour la plupart, le Haut-Karabakh avait été attribué par Staline à l’Azerbaïdjan, à majorité musulmane chiite, en 1921. Cette région montagneuse avait proclamé son indépendance et fait sécession de l’Azerbaïdjan à la chute de l’URSS, entraînant une première guerre dans les années 90 qui avait causé la mort de 30 000 personnes et fait des centaines de milliers de réfugiés.

«Ça nous fait bizarre qu’un club de foot qui s’appelle Qarabag, c’est-à-dire la région de nos ancêtres, se présente comme un club azéri. C’est de la provocation. Ça nous touche profondément, parce que ce sont des terres ancestrales», estime Gayanne Chadian, une Marseillaise franco-arménienne, présidente de l’association Artsakh – c’est ainsi que les Arméniens appellent la région.

Appel au meurtre

Fondé en 1951 à Agdam, ville fantôme et vestige des affrontements, le Qarabag FK revendique cet héritage disputé. Après la prise de la ville par les forces autonomes en 1993, le club a déménagé à Bakou, la capitale. Mais l’appartenance du Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan est inscrite dans l’ADN du club, huit fois sacré champion national. Le Qarabag FK joue volontiers du traumatisme de la perte de ce territoire enclavé, en associant les sentiments nationalistes de ses supporteurs à la revendication de l’Azerbaïdjan, qui se veut être un nouvel acteur du sport mondial. Quitte, parfois, à ce que le conflit ressurgisse hors du cadre sportif.

«Nous devons tuer tous les Arméniens. Femmes, enfants, vieux. Tous sans distinction», avait déclaré l’ancien responsable de la communication du club, Nurlan Ibrahimov, en octobre 2020 au plus chaud de la guerre. Ibrahimov a depuis été suspendu de toute activité liée au football par l’UEFA pour cet appel au meurtre. Mais les provocations continuent. «Le Karabagh, c’est l’Azerbaïdjan !» martèle par exemple le directeur général du club, Asif Asgarov, sur les réseaux sociaux.

Pour ses provocations, le club aurait dû être exclu des compétitions européennes, selon Azad Balalas-Kazandjian, conseiller départemental des Bouches-du-Rhône, d’origine arménienne. Selon lui, Qarabag est une «vitrine politique». «L’exemple parmi d’autres» de la tentative du gouvernement autocratique d’Ilham Aliyev «de se donner une image présentable sur la scène internationale via le sport». «Ils ont organisé leur Grand Prix de Formule 1, des matchs de l’Euro 2020 de football, la finale d’Europa League 2018-2019 à Bakou…» rappelle-t-il. Finale à laquelle l’un des meilleurs joueurs arméniens, Henrikh Mkhitaryan, n’a pas pu participer, craignant pour sa sécurité. «Dans quel autre pays voit-on ce genre de choses ?» s’indigne Azad Balalas-Kazandjian. «On voit bien que les instances européennes et internationales de foot sont totalement obnubilées par l’argent et les mannes financières que peuvent apporter ces pays-là.»

«Le respect des droits de l’homme, le fair-play, plus personne n’y croit. On se rend bien compte que l’argent achète tout, et efface tout», déplore-t-il, évoquant la richesse du pays en pétrole et en gaz, qui lui permet de gagner en influence en sponsorisant de grandes compétitions et en organisant des rencontres sur son sol.

Dispositif de sécurité renforcé

Pour éviter des affrontements entre supporteurs, comme ce fut le cas lors du match de Ligue Europa face aux Turcs de Galatasaray, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a déployé un «dispositif de sécurité renforcé» autour du stade et dans les tribunes. Le déplacement des amateurs de foot sera encadré. En septembre, la présence des forces de l’ordre n’avait pourtant pas suffi pour éviter des bagarres entre Turcs et Marseillais. Là encore, le conflit au Haut-Karabakh était un point sensible, certains ultras de Galatasaray ayant brandi des drapeaux de l’Azerbaïdjan pendant la rencontre.

«Nous devons gagner, non seulement en tant qu’équipe, mais aussi pour notre unité nationale, pour nos valeurs nationales. Sans aucun doute, il y aura des gens mal intentionnés dans le stade, mais il ne faut pas faire attention à leurs actions extrémistes», affirme un supporteur azéri sur Facebook. Sous-entendant que les supporteurs arméniens de l’OM pourraient provoquer des incidents. «Nous les avons déjà battus sur tous les plans, vous voyez ce que je veux dire ? Mais on veut faire un bon match sans provocation», assure un autre, avant d’ajouter «mais si provocation il y a, la réponse sera bien différente des fois précédentes». Celui-là semble prêt à en découdre.

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