Des manifestants protestent contre le blocage du seul axe routier vers l'Arménie par l'Azerbaïdjan, le 25 décembre 2022 à Stepanakert, principale ville du Nagorny Kabarakh

Des manifestants protestent contre le blocage du seul axe routier vers l'Arménie par l'Azerbaïdjan, le 25 décembre 2022 à Stepanakert, principale ville du Nagorny Kabarakh

afp.com/Davit GHAHRAMANYAN

Rares sont les peuples à avoir autant souffert, rares les Etats à pâtir d’autant de faiblesses et de fragilités structurelles. En 1915, peu après les grands massacres de 1894-1896, 1,5 million de civils arméniens sont exterminés par le gouvernement jeune-turc de l’Empire ottoman finissant, des centaines de milliers de rescapés étant à la fois spoliés et dispersés au Proche-Orient et en Occident. Seul subsiste dans l’extrême est du pluriséculaire territoire arménien un pauvre arpent montagneux du Caucase, autour de la modeste cité d’Erevan, où est proclamée la Ire République, rapidement annexée à l’Union soviétique naissante. Dès l’indépendance en 1991, la IIe République d’Arménie a la guerre en partage avec l’Azerbaïdjan voisin sur la question litigieuse du Haut-Karabakh, terre très majoritairement peuplée d’Arméniens depuis des siècles mais machiavéliquement donnée par Staline à la République soviétique azérie en 1921.

Publicité
LIRE AUSSI : Haut-Karabakh : aux confins de l'Arménie, un drame à huis clos

Aujourd’hui, l’Arménie concentre à peu près toutes les difficultés géopolitiques possibles, à commencer par celles d’ordre géographique : une terre montagneuse peu propice à l’agriculture intensive, l’absence d’accès à la mer (faiblesse rédhibitoire en pleine mondialisation commerciale), gravissime conséquence de l’expulsion et la destruction des Arméniens d’Anatolie en 1915 connectés à la mer Noire comme à la Méditerranée, et la rareté de ressources naturelles commercialisables précieuses.

Mais c’est le contexte géopolitique de l’Arménie qui met en relief l’ingratitude de cette géographie. Non seulement deux de ses quatre voisins – la Turquie et l’Azerbaïdjan alliés – lui sont hostiles, mais le second est en guerre ouverte depuis 1991, et a fortiori depuis son offensive victorieuse de 2020 et le blocus des 120 000 habitants du Karabakh qui prévaut depuis. Or, ces coalisés sont bien plus peuplés et riches que l’Arménie, et, en outre, ils cherchent à joindre leurs frontières ; pour ce faire, il faudrait sectionner l’étroit corridor du Zanguezour (dit aussi de Meghri). Les deux autres voisins, la Géorgie au nord et l’Iran au sud, ne constituent pas un contrepoids, faute d’alliance entre eux et de chacun d'eux avec Erevan, et parce que la première est pauvre (et partiellement occupée par l’armée russe), et le second entravé par les sanctions internationales liées au dossier nucléaire. Tout aussi grave, le véritable allié statutaire de l’Arménie, la Russie, a gravement failli en ne la défendant ni lors de l’offensive de l’armée azerbaïdjanaise de septembre 2020 contre le Haut-Karabakh ni depuis, contre les incursions de celle-ci à ses frontières pourtant internationalement reconnues. Las, l’alternative à Moscou n’existe pas ; jamais les Etats-Unis ne prendront le risque d’intervenir militairement loin de leurs bases dans un espace aussi dangereux et sans intérêt majeur.

Énergie du désespoir

On ajoutera que le régime arménien n’a guère brillé, comme le reconnaissent même les plus fervents partisans de la cause : après la victoire de 1994, arrachée avec l’énergie du désespoir, rien n’a été sérieusement pensé. A l’extérieur, on n’entreprit ni annexion, ni reconnaissance, ni retrait partiel du Karabakh disputé, ni même adaptation stratégique, privilégiant un attentisme qui, à terme, a fini par favoriser l’Azerbaïdjan producteur de pétrole. À l’intérieur, on maintint la corruption (contestée par les citoyens arméniens eux-mêmes ces dernières décennies) et une absence de politique sociale et démographique, alors même que les niveaux de natalité et de flux migratoires étaient alarmants.

LIRE AUSSI : "Je suis terrifiée" : en Arménie, la crainte du dépeçage face à l'Azerbaïdjan

Deux seuls atouts subsistent : d’abord, une diaspora active et relativement puissante, en Europe et aux Etats-Unis notamment, qui contribue à couvrir certains besoins sociaux et humanitaires et à encourager des gouvernements à élever la voix ; ensuite, le refus de l’Iran de voir l’Etat rival azerbaïdjanais – accusé d’irrédentisme sur la région de Tabriz – et la Turquie sunnite et néo-impériale se renforcer mutuellement au détriment d’une Arménie a contrario inoffensive. Ces deux éléments positifs pourront peut-être empêcher Bakou d’envahir le corridor de Zanguezour, non de conférer à Erevan une puissance dissuasive pérenne.

La France, au regard de sa longue et réelle proximité avec le peuple arménien, et parce que membre permanent du Conseil de sécurité et du groupe de Minsk et principale puissance politico-militaire de l’UE, devrait jouer un rôle bien plus actif. L’Histoire nous enseigne que négliger de fidèles amis dans le besoin finit souvent par coûter cher…

Publicité