L’Arménie intime et multiple de Camille Lévêque

REPÉRÉE – À travers l’exposition “Tsavt Tanem”, l’artiste visuelle explore son identité et ses racines arméniennes. Une installation photographique à découvrir jusqu’au 24 avril au Centre régional de la photographie des Hauts-de-France, à Douchy-les-Mines.

« There’s no looking backwards », 2019.Une des œuvres de Camille Lévêque à voir à Douchy-les-Mines.

« There’s no looking backwards », 2019.Une des œuvres de Camille Lévêque à voir à Douchy-les-Mines. Camille Lévêque

Par Elodie Cabrera

Publié le 08 février 2022 à 15h05

Actualités

Une double culture s’apprivoise, se transmet, de non-dits en récits fragmentés. Avec son exposition « Tsvat Tanem » ( « je prends ta peine », en arménien), Camille Lévêque ouvre la voie à une nouvelle forme d’autobiographie entre mythologie familiale et légende personnelle. Prenant appui sur son arbre généalogique, cette cartographie friable et lacunaire, l’artiste de 36 ans met en scène « une fiction narrative dans laquelle tous puissent s’entre-raconter ». Au Centre régional de la photographie des Hauts-de-France, ses photos de famille rescapées de l’exil, « reliques si vénérées qu’elles deviennent des icônes », côtoient des visions symboliques : migration d’hirondelles, monastère de Dadivank noirci par les siècles, passé en Azerbaïdjan depuis la prise de contrôle du Haut-Karabakh, et portraits de descendants d’Arméniens. Habillés de rideaux, bijoux, une grenade posée en équilibre sur la tête, ils portent la métaphore d’une génération pacifiée, mais forcée de composer avec une histoire faite de bric et de broc.

Ascendants

« Est-ce parce que ma famille a dû fuir ? Je me sens chez moi nulle part et partout à la fois », explique cette passionnée d’épigénétique. Bac littéraire en poche, elle traverse une trentaine de pays, de l’Afrique à l’Orient, avant de poser ses bagages en Arménie où, au culot, elle devient reporter pour le Haut Comité des réfugiés aux Nations unies. Des huit années suivantes passées aux États-Unis, l’autodidacte, téméraire et travailleuse acharnée, a fait sienne la maxime « Fake it until you make it » (« fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives »).

L’artiste visuelle Camille Lévêque : « Est-ce parce que ma famille a dû fuir ? Je me sens chez moi nulle part et partout à la fois. »

L’artiste visuelle Camille Lévêque : « Est-ce parce que ma famille a dû fuir ? Je me sens chez moi nulle part et partout à la fois. » Mathias Deshours

Signes particuliers

Elle n’apprécie guère les catégorisations. « La photographie est presque anecdotique dans ma pratique », défend cette artiste visuelle, aussi à l’aise avec le collage que la vidéo. Sous son vrai nom et six alias, Camille Lévêque a fondé le collectif Live Wild. Fictif mais futé. « Ces identités multiples me permettent de développer différentes écritures, de rester intelligible sans me restreindre. »

Point de vue

Entre le Ier siècle avant J.-C. et aujourd’hui, les contours de l’Arménie se sont réduits à peau de chagrin. Un rétrécissement qui fait écho à celui de la mémoire et des souvenirs transmis d’une parenté à l’autre. « Beaucoup de personnes issues de la diaspora arménienne vivent dans ce qui est aujourd’hui la Turquie, la Géorgie ou l’Azerbaïdjan. La plupart du temps, ceux qui n’y ont jamais mis les pieds visualisent un territoire qui en réalité n’existe plus. » Cette perception mouvante hante les portraits de descendants d’Arméniens aux yeux tantôt clos, tantôt pénétrants. « Ouverts, ils disent cette génération qui ne détourne pas le regard sur son histoire. Fermés, ils révèlent un autre point de vue sur ce récit partagé, maintenant fait de réminiscences et de fantasmes. »

« Alexander as a child », de Camille Lévêque.

« Alexander as a child », de Camille Lévêque. Camille Lévêque

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À voir
« Tsvat Tanem », au Centre régional de la photographie des Hauts-de-France, à Douchy-les-Mines (Nord), jusqu’au 24 avril, le dossier de l’exposition ici.

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