Il faut sauver les Karabaghiotes, pas le groupe de Minsk <!-- --> | Atlantico.fr
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Azerbaïdjan Arménie Haut Karabagh Haut Karabakh conflit guerre intervention France
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©ADEM ALTAN / AFP

Conflit au Haut-Karabagh

Si la France entend encore être écoutée et respectée, elle doit parler haut, fort et clair. Valérie Boyer revient sur la situation tragique au Haut-Karabagh et sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Valérie Boyer

Valérie Boyer

Valérie Boyer est sénatrice LR des Bouches-du-Rhône et conseillère municipale de Marseille.

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Depuis trois semaines maintenant, le Haut-Karabagh subit une guerre provoquée par l’Azerbaïdjan. Dès le début du conflit, le président Macron a clairement énoncé les faits et les responsabilités en indiquant que « les frappes qui sont parties d'Azerbaïdjan n’ont pas de justification », que la France avait établi que « 300 combattants ont quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par Gaziantep. Ces combattants sont connus, tracés, identifiés, et ils viennent des groupes djihadistes qui opèrent dans la régions d'Alep » et qu’une « ligne rouge » avait été franchie par de la Turquie, membre de l’OTAN, dans la mise en œuvre complice de ce plan d’agression. Azerbaïdjan-djihadistes-Turquie, tout est dit à propos de cette coalition de la terreur.

Depuis lors, les faits qui s’accumulent justifient les pires craintes de la communauté internationale : bombardements des populations et des infrastructures de la petite République du Karabagh ; exode des civils en Arménie voisine – qui n’est d’ailleurs exempte de bombardements non plus – et exécutions sommaires de soldats et de civils karabaghiotes faits prisonniers par les forces azéries et leurs supplétifs djihadistes ; voire décapitation comme aux plus belles heures de l’Empire ottoman.

Face au nettoyage ethnique qui se profile, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui s’émeut et c’est très légitimement que des parlementaires français ont interpellé Jean-Yves le Drian, notre Ministre des Affaires Etrangères. La France a en effet une responsabilité particulière dans cette affaire, en ce qu’elle copréside le Groupe de Minsk de l’OSCE chargé, depuis près de trente ans, d’aider les parties au conflit à conclure un Traité de paix qui semble désormais plus lointain que jamais.

Interrogé le 13 octobre à l’Assemblée nationale, M. Le Drian a bien rappelé les propos du Président Macron et « les conséquences graves surtout de l’internationalisation de ce conflit, internationalisation engagée par la Turquie avec livraisons d’armes et mobilisations de mercenaires » pour aussitôt mettre en balance « l’émotion légitime » que susciterait en France ce conflit en raison de « la proximité des liens humains, culturels, historiques, qui nous lient à l’Arménie » et la « longue relation » que nous aurions également avec l’Azerbaïdjan. Enfin et surtout, il a insisté sur le fait que les trois coprésidents du groupe de Minsk font pression « pour que les deux parties respectent strictement le cessez-le-feu » en rappelant « l’exigence d’impartialité de la France dans le contexte de crise du Haut-Karabagh ». Avant de conclure : « Nous ne serions plus légitimes si nous prenions parti pour l’un ou l’autre des pays. Et je pense que nous ne rendrions pas service à la qualité de notre relation bilatérale avec l’Arménie si nous tenions une posture déséquilibrée qui remettrait en cause le rôle que nous jouons dans le cadre du groupe de Minsk et qui remettrait en cause l’influence que nous pouvons avoir sur les parties en crise ».

On ne sait par où commencer pour commenter ces propos qui non contents de placer sur le même plan la démocratie arménienne avec la dictature azerbaïdjanaise, non contents d’insinuer que le soutien à la première relèverait d’une « émotion » irrationnelle quand ce sont nos valeurs qui sont en jeu, néglige totalement de parler des victimes de ce conflit. Pour y être allée à plusieurs reprises je peux témoigner que le Haut-Karabagh n’est pas une zone de conflit fantôme que se disputent deux Etats. C’est un pays habité par une population, des femmes et des hommes que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de mes voyages. Le fait que les institutions étatiques et la société moderne qu’ils ont mises en place ne soient pas reconnues par la France ne change rien à la réalité, à leur vie de tous les jours comme au strict fait même qu’ils existent. Mais cette non-reconnaissance ne change rien à la responsabilité de la France et de la communauté internationale envers cette population menacée aujourd’hui par un véritable nettoyage ethnique. Comment qualifier autrement une situation où la moitié de la population du Haut-Karabagh a déjà quitté son pays et s’est réfugiée en Arménie voisine, tandis que l’autre moitié se bat dans une solitude absolue pour arrêter l’avancée d’un ennemi dont chaque offensive s’accompagne inexorablement de crimes de guerre. En matière de politique intérieure, face au dernier crime de Conflans-Sainte-Honorine, nous nous apprêtons à juste titre à durcir nos mesures à l’encontre des terroristes et autres professionnels de la décapitation. Nous devons en faire de même face à l’Azerbaïdjan dont les soldats massacrent sans merci prisonniers et civils arméniens au mépris des conventions internationales. 

Et c’est là où interpelle cette posture irréelle de neutralité que notre ministre des Affaires étrangères estime devoir conserver. Etre impartial, c’est à minima savoir affirmer comme l’a fait le Président Macron qui est l’agresseur et qui est l’agressé. Quand dans un tribunal un juge prononce un acquittement ou une condamnation, il est parfaitement impartial. On n’attend pas de lui qu’il renvoie dos à dos la victime et son agresseur car être neutre devant une situation d’injustice, c’est être du côté du bourreau. Et même de ce point de vue cynique qu’affectionne tant le Quai d’Orsay, cette impartialité nuit à la position et à la légitimé de l’action la France, ce qui est précisément l’un des objectifs visés par la Turquie, alliée de l’Azerbaïdjan : En marginalisant la voix de notre pays, en la ridiculisant même, cette belle « impartialité » contribuera à l’évincer de la coprésidence du Groupe de Minsk et éventuellement à la remplacer par la Turquie dont on connaît l’appétence pour les solutions équilibrées et sa grande impartialité vis-à-vis des Arméniens.

La vraie question à laquelle il nous faut répondre aujourd’hui est de savoir si nous voulons sauver le groupe de Minsk ou les Arméniens du Karabagh menacés à l’heure actuelle de nettoyage ethnique ? Faut-il se soucier davantage du « rôle du groupe de Minsk » et de « l’influence que nous pouvons avoir sur les parties en crise » que du sort de ces parties ?  Notre mandat nous suggère certes l’impartialité du médiateur, mais il nous oblige surtout à contraindre les parties à une solution exclusivement pacifique au conflit. Or l’Azerbaïdjan y impose aujourd’hui sa solution belliqueuse aussi bien aux Arméniens du Karabagh qu’aux coprésidents du Groupe de Minsk les mettant tous devant le fait accompli. Cette solution est aussi claire qu’un problème d’arithmétique : Quand les Arméniens natifs du Karabagh auront disparu, assassinés ou exilés, quand soumis aux bons soins des Diafoirus de la diplomatie, ils pourront s’écrier avec soulagement « en somme, grâce à vous, docteur, je meurs guéri », il n’y aura plus de problème de défense de leurs droits et il n’y aura par conséquent plus de question du Karabagh. Quelle serait alors la raison d’être du Groupe de Minsk ? Tenter de sauver la réputation ou défendre la neutralité de la France sera alors une préoccupation d’autant plus futile et sans objet que notre politique étrangère aura été gravement entachée par son incapacité et même par sa réticence à faire respecter les valeurs de notre pays.

Si la France entend encore être écoutée et respectée, elle doit parler haut, fort et clair. Nous sommes capables de déplaire à des grandes puissances comme la Chine pour la cause des Ouighours ou la Russie pour la cause de Navalny. Nous devrions pouvoir déplaire à l’Azerbaïdjan pour la cause des Karabaghiotes. Reconnaissons la République du Karabagh car, en la circonstance, c’est le seul moyen rationnel de placer sa population sous la protection de la communauté internationale. C’est votre droit le plus strict, Monsieur le ministre des Affaires étrangères, et, vu les circonstances, c’est aussi votre devoir le plus élevé.

Valérie Boyer
Sénatrice des Bouches-du-Rhône

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