L’Azerbaïdjan et l’Arménie se rejetaient, dimanche 18 octobre, la responsabilité de la violation d’une nouvelle « trêve humanitaire » entrée en vigueur à minuit dans le Nagorny Karabakh, une semaine après un premier cessez-le-feu conclu mais jamais respecté.
Le ministère de la défense azerbaïdjanais a affirmé que les forces arméniennes avaient rompu de « manière flagrante le nouvel accord », dénonçant des tirs d’artillerie ennemis. Un porte-parole, Anar Eïvazov, a précisé que des attaques séparatistes visant quatre localités avaient été repoussées. En début de journée, la porte-parole du ministère arménien de la défense, Chouchan Stepanian, avait pour sa part rapporté des tirs d’artillerie et de roquettes azerbaïdjanais au nord et au sud du front, durant les trois heures ayant suivi le début de la trêve.
L’armée du Nagorny Karabakh a également fait état d’une attaque ennemie le matin dans le sud, déplorant « des pertes et blessés des deux côtés ». « Mais les infrastructures civiles et les habitations n’ont pas été visées par des tirs », ont précisé les services de secours séparatistes.
Au moins deux explosions ont été entendues à Stepanakert, la capitale séparatiste, après une journée de dimanche calme. Un drone qui a volé au-dessus de la ville pendant une trentaine de minutes a également été abattu par la défense antiaérienne, tombant en une boule de feu sur une montagne avoisinante.
Pertes civiles
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a fermement condamné dimanche les attaques contre les populations civiles. « La perte tragique de vies civiles, notamment des enfants, selon la dernière frappe rapportée le 16 octobre (…) sur la ville de Gandja est totalement inacceptable », selon le porte-parole de M. Gutteres, Stéphane Dujarric. Le secrétaire général de l’ONU a aussi profondément regretté « que les deux côtés aient continuellement ignoré les appels répétés de la communauté internationale à cesser les combats immédiatement ».
Samedi, treize civils ont été tués dans le bombardement nocturne d’une zone résidentielle de Gandja, deuxième ville d’Azerbaïdjan, selon les autorités. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a juré de « venger » ces civils, accusant son ennemi séparatiste arménien :
« La direction fasciste de l’Arménie a tiré sur nos zones peuplées (…), ce crime lâche ne brisera pas la volonté de notre peuple. Nous allons y répondre sur le champ de bataille, nous allons nous venger sur le champ de bataille. »
La Turquie a accusé l’Arménie de « crimes de guerre ». L’Union européenne (UE) a, elle, « déploré » ces frappes et appelé, une fois encore, « toutes les parties à cesser de viser les civils ».
Quelques heures plus tôt, des frappes azerbaïdjanaises avaient visé la capitale des indépendantistes, Stepanakert, et la ville de Chouchi, dont la majorité des habitants ont fui depuis le début des hostilités, le 27 septembre. La frappe meurtrière dans la nuit de vendredi à samedi sur Gandja a été suivie d’une deuxième dans une autre partie de la cité, puis d’un tir visant la ville voisine de Minguetchaour.
Ces bombardements, ainsi que les combats sur la ligne de front, témoignent de l’impuissance depuis trois semaines de la communauté internationale. L’accord de trêve humanitaire négocié sous l’égide de Moscou n’a jamais été appliqué depuis une semaine. Le chef du Pentagone américain, Mark Esper, et la ministre des armées française, Florence Parly, ont réinsisté vendredi soir sur la nécessité de mettre fin aux hostilités.
Le Haut-Karabakh, majoritairement peuplé d’Arméniens chrétiens, a fait sécession de l’Azerbaïdjan, turcophone et chiite, peu avant la dislocation de l’URSS, en 1991, entraînant une guerre ayant fait 30 000 morts dans les années 1990. Un cessez-le-feu, ponctué de heurts, était en vigueur depuis 1994.
A Gandja, des journalistes ont vu des maisons détruites par le missile qui a frappé les habitants en plein sommeil vers 3 heures (heure locale, 1 heure en France). Selon le procureur général, « 12 civils ont été tués, 40 blessés ». Des résidents en larmes fuyaient les lieux, certains en pyjama et en pantoufles. « Toutes les maisons autour ont été détruites. Beaucoup de personnes sont sous les décombres. Certains sont morts, d’autres sont blessés », se lamentait Rubaba Zhafarova, 65 ans, devant sa maison détruite.
Recherche de survivants dans les décombres
Des dizaines de secouristes cherchaient dans la nuit des survivants à mains nues, dans les décombres. Après quelques heures, une équipe a déposé dans une ambulance des housses mortuaires noires contenant des morceaux de corps déchiquetés. « Ma femme était là-bas, ma femme était là-bas », criait un homme conduit vers une ambulance par un infirmier. Un habitant a dit avoir vu un enfant, deux femmes et quatre hommes retirés des décombres.
Ville de plus de 300 000 habitants, Gandja a déjà été frappée à plusieurs reprises depuis le début du conflit, notamment dimanche lorsqu’un missile avait fait dix morts. Des journalistes de l’Agence France-Presse (AFP) ont déclaré avoir ressenti aussi dans la nuit une puissante explosion dans la ville voisine de Minguetchaour. La cité est protégée par un système antimissiles car il abrite une digue stratégique. Il n’est pas établi que ces missiles aient été détruits en vol ou qu’ils aient touché des cibles.
Du côté des séparatistes arméniens, aucun commentaire n’a été fait à propos de l’attaque sur Gandja, sinon que les infrastructures civiles des villes de Stepanakert et de Chouchi ayant été visées par l’Azerbaïdjan, « des opérations pour stopper l’adversaire ont été menées », selon le centre d’information du gouvernement arménien.
Ailleurs sur le front, les combats ont continué, l’Azerbaïdjan et l’Arménie s’accusant mutuellement de violer le cessez-le-feu. L’armée azerbaïdjanaise a annoncé samedi matin avoir, sur le front nord comme celui du sud, de nouveau « percé des lignes de fortifications en plusieurs endroits », détruisant équipements militaires, armements et faisant « beaucoup de morts ».
L’Azerbaïdjan a fait des gains territoriaux ces trois dernières semaines sans pour autant avoir remporté de bataille décisive. Bakou n’a pas jusqu’ici révélé le coût du conflit, ne publiant aucun bilan militaire, matériel ou humain, alors que les séparatistes affirment avoir tué des milliers d’hommes.
Outre une potentielle crise humanitaire, la crainte est de voir ce conflit s’internationaliser, la Turquie soutenant l’Azerbaïdjan. L’Arménie, qui soutient financièrement, politiquement et militairement les séparatistes, possède, elle, une alliance militaire avec la Russie.
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