Accueil

Monde Europe
Recep Tayip Erdogan souhaite toujours intégrer l'UE
Recep Tayip Erdogan souhaite toujours intégrer l'UE
Celestino Arce / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Turquie : Erdogan profite de la guerre en Ukraine pour relancer le débat sur l'adhésion à l'UE

Coucou, me revoilà

Par Hugo Romani

Publié le

La Turquie compte bien profiter de la guerre en Ukraine pour relancer le processus de son adhésion au sein de l'UE. Erdogan mise sur sa position d'allié de l'OTAN pour influencer la décision de la Commission. Depuis 2005, Ankara attend de rejoindre l'union.

L’élargissement de l’Union européenne (UE) va-t-il se poursuivre en 2022 ? Mardi 22 mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan déclarait attendre « de l’UE qu’elle ouvre rapidement les chapitres des négociations d’adhésion et qu’elle entame les négociations sur l’union douanière sans céder à des calculs cyniques ». Des négociations entre Ankara et l’UE sont en cours pour une éventuelle adhésion depuis 2005. Si l’économie turque est plutôt dynamique avec un taux de croissance de 1,8 % en 2020 – loin des 10 % de 2004 quand même – en pleine année de pandémie et un déficit à 1,9 % – en dessous des 3 % exigés par le Traité de Maastricht – le « reïs » turc se heurte à d’autres obstacles, notamment en termes de respect des droits de l'homme dans son pays.

À LIRE AUSSI : Énergies : États-Unis Venezuela, Israël Turquie… Comment la guerre en Ukraine rebat les cartes

Depuis le début de l'invasion russe, l’Ukraine, suivi par ses voisins moldave et géorgien qui se sentent menacés par l'expansionnisme russe, ont officiellement demandé à intégrer l'UE. Bruxelles semble plutôt défavorable à un élargissement, pourtant : six pays sont toujours dans l'antichambre. Ces dix dernières années, seule la Croatie a intégré l'Union européenne. Mais l'offensive russe en Ukraine modifie la donne. Membre de l'Otan et proche de l'Ukraine, la Turquie s'inscrit sur une ligne similaire à celle de l'Union Européenne.

Le politologue turc Ahmet Insel, professeur émérite de l’université de Galatasaray à Istanbul, y voit surtout une manœuvre politique. « C’est une manière de montrer patte blanche en tant qu’allié du camp occidental et aussi en vue des élections prochaines préparer le terrain sur l’échec du processus d’adhésion en rendant les Européens totalement responsables du blocage », estime-t-il. Le politologue rajoute néanmoins qu’« Erdogan est condamné à jouer un rôle d’équilibriste bien malgré lui. Il ne veut pas rompre les relations avec la Russie, non seulement pour les livraisons de pétrole et de gaz, ou pour continuer à exporter vers la Russie mais aussi il craint les réactions de la Russie en Syrie, à Idlib, et en Libye où les deux pays sont dans les camps adverses ».

Dérive autocratique

Les chances d'enclencher le processus restent maigres, cependant. En 2020, la Commission européenne, alors chargée d’étudier le dossier, déplorait dans un rapport que « la Turquie a continué à s'éloigner de l'Union européenne, avec un sérieux recul dans les domaines de l'État de droit et des droits fondamentaux ».

Cet éloignement ne date pas d’hier. Dès 2007, le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel avaient clairement indiqué refuser l'adhésion de la Turquie au sein de l'Union européenne. Puis, explique Ahmet Insel, la défiance de l'UE « s’est accélérée à partir de 2013 avec la répression du mouvement de contestation Gezi », ce mouvement protestataire conduit entre autres par des écologistes pour s’opposer à la destruction d’un parc à Istanbul. « Les contraintes de plusieurs chapitres de l’acquis communautaire, notamment le respect de l’État de droit, la transparence et la concurrence dans les marchés publics ont aussi poussé Erdogan à abandonner la poursuite du processus de réforme. »

À LIRE AUSSI : Turquie : ces écrivains à la pointe de la résistance face à Erdogan

Une nouvelle étape a été franchie en 2016. Cette année-là, une faction au sein des forces armées turques tente de renverser le pouvoir en place : la répression qui s'ensuivra sera brutale. Dans la foulée, Erdogan modifie le système politique en place. Le régime parlementaire est abandonné au profit d'un exécutif présidentiel beaucoup plus fort. Le président turc peut désormais opposer un droit de veto à la loi votée par le Parlement mais aussi nommer 12 des 15 juges de la Cour constitutionnelle, ce qui lui offre un pouvoir judiciaire considérable.

Selon Ahmet Insel, cette réforme constitutionnelle a définitivement éloigné la Turquie de l’adhésion. « La forte répression qui a suivi la tentative de putsch en 2016 et qui a visé bien plus loin que les putschistes ont mis fin dans la pratique au processus d’adhésion, détaille-t-il. La Turquie connaît depuis dix ans une dérive autocratique qui s’est accélérée après 2016 et qui a abouti à la mise en place d’un régime présidentiel sans la séparation des pouvoirs et avec la justice comme le bras armé de la répression. La Turquie aujourd’hui n’est pas un État de droit. »​​​​​​

À LIRE AUSSI : Humiliations, sévices, agressions antisémites : l’enfer d'un Français dans les prisons turques

Difficile donc d’imaginer une entrée de la Turquie dans l’UE, en tout cas avec le régime actuel. « Je pense que c’est inenvisageable à moyen terme, conclut Ahmet Insel. À long terme, évidemment on ne peut rien savoir. Avec Erdogan au pouvoir, la porte de l’UE restera bien fermée. S’il y a un changement de majorité lors des élections de 2023, le retour vers un régime démocratique prendra beaucoup de temps et les séquelles de l’autocratie seront difficiles et longues à nettoyer. L’atout principal de la Turquie était d’être un facteur de stabilisation dans la région mais cela a changé sous Erdogan. Idem pour son économie, elle reste énormément fragilisée par la politique de l’AKP. »

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne